ÉPILOGUE
Au cours de leur entrevue suivante, McNeil accepta de révéler les faits qu’il avait passés sous silence sans trop d’hésitations. Il venait de quitter la clinique et de louer une chambre dans le quartier des équipages en transit mais passait la majeure partie de son temps dans un restaurant français situé sur la promenade, en face des peupliers de Samarkand. Le chant de synthèse de nombreux pipits leur parvenait du feuillage des arbres proches.
— Je savais que vous finiriez par revenir me voir, dit-il. Voulez-vous un verre de cet excellent Saint-Émilion ?
Elle déclina son offre, lui dit ce qu’elle avait appris, et lui demanda de compléter son récit.
— Si je coopère, quel sera le verdict, selon vous ?
— Eh bien, étant donné que le livre a été récupéré par Darlington…
— N’oubliez pas que vous aurez du mal à prouver quoi que ce soit, si mon avocat parvient à me garder loin de la barre, dit-il avec désinvolture.
— Vous devrez quoi qu’il en soit répondre du vol de ces bouteilles de vin.
— Le propriétaire de tous les biens en question n’est malheureusement plus de ce monde.
Sparta contint son envie de rire, consciente que cela n’eût pas servi la cause de la justice. Elle hocha tristement la tête.
— McNeil, vous moisirez dans une cellule pendant une période pouvant aller de quatre à six mois.
— Dommage. Ce sera presque aussi long qu’une traversée jusqu’à la Grande Ceinture, une ligne sur laquelle j’ai toujours essayé de ne pas être affecté.
— J’en prendrai peut-être un verre, après tout, dit-elle.
Il la servit et elle but une gorgée de bordeaux avant de remercier l’homme, qui redevint sérieux.
— Il existe un détail dont vous avez peut-être négligé de tenir compte, inspecteur. Il s’agit d’un livre magnifique, pas d’un objet comme les autres. Il méritait d’être possédé par une personne capable d’apprécier son contenu autant que sa reliure.
— Laisseriez-vous entendre que vous n’étiez pas uniquement motivé par l’appât du gain ?
— Je ne vous ai jamais menti, inspecteur. J’admire Mme Sylvester et je regrette sincèrement qu’elle ait couru à sa perte.
— Je vous crois, McNeil. Je n’ai d’ailleurs mis à aucun instant votre parole en doute.
*
Si le technicien n’avait pas besoin de son aide, ce n’était pas le cas de Redfield. Le dossier concernant la crise de démence inexplicable de Kara Antreen ne serait probablement pas clos avant des mois, sinon des années. Ce fut avec des tiraillements de conscience éphémères que Sparta l’accusa de péchés dont elle était innocente. Blake ne fut à aucun moment suspecté d’avoir fait sauter une écoutille de la station, coupé l’alimentation en électricité du moyeu, agressé deux paisibles ouvriers, pénétré par effraction dans des locaux gouvernementaux et s’être rendu coupable de vol de biens publics. Il disparut dans l’ombre de Sparta…
Viktor Proboda avait gagné la cale d’appontage avec un bouquet de marguerites d’automne hydroponiques, afin d’assister à leur départ. Accompagnés par une escorte de journalistes, Blake et Sparta allaient embarquer à bord de l’Hélios et faire ainsi le premier pas d’un long retour vers la Terre.
— Ce fut un plaisir, Viktor. S’il existe une justice, peu de temps s’écoulera avant que…
Son auricom tinta doucement.
— Une seconde.
Elle inclina la tête et écouta la voix haletante du régulateur.
— Inspecteur Troy ! Inspecteur Troy ! De nouveaux ordres viennent de nous parvenir de Terre Central ! Votre voyage est annulé et vous devez vous présenter immédiatement au QG.
— Que s’est-il passé ?
Elle leva les yeux pour voir une escouade d’hommes en uniforme qui plongeaient vers elle : l’escorte chargée de l’accompagner au quartier général.
Quelques secondes plus tard, lorsqu’elle trouva le temps de répondre aux questions de Redfield et de Proboda, elle put seulement dire :
— Je te rejoindrai plus tard, Blake. Je n’ai pas le droit de t’apprendre de quoi il retourne et, si je te le disais malgré tout, il est probable que tu refuserais de me croire.
*
Malgré les nombreux scandales qui avaient tenu les habitants de Port Hespérus en haleine au cours des dernières semaines… ainsi que les funérailles, les dépositions, les auditions et les jugements…, l’activité de la station spatiale ne s’était pas interrompue ni même ralentie. Cinq des énormes nouveaux robots de l’Ishtar Mining Corporation avaient été immédiatement envoyés sur Vénus après la levée des scellés du Roi des Etoiles. Quant au sixième, il était allé les rejoindre lorsque les équipes des services d’investigation scientifique avaient terminé de prélever la dernière molécule de preuve se trouvant sur son blindage et à bord du vaisseau qu’il avait dévasté.
Ces robots furent alors envoyés explorer un plan synclinal prometteur sur le glacis de l’immense plateau de Laksmi ; une zone qui n’avait fait l’objet que de quelques relevés superficiels effectués par des appareils de surface. Au sein des échantillons de minerai réunis au cours de ces expéditions se trouvait un étrange fragment exhibé au Muséum Hespérien – un fossile, parmi la douzaine découverte à ce jour.
On s’attendait en conséquence à découvrir un ou deux autres vestiges d’un lointain passé lorsque les forages sérieux auraient débuté dans cette région, et les opérateurs de Port Hespérus avaient reçu pour consigne d’ouvrir l’œil en surveillant leurs écrans, en prévision d’une telle éventualité.
À la surface de Vénus, l’atmosphère est si dense et la clarté du soleil si diffuse que diriger un de ces robots incandescents est comparable à guider un nodule mineur au fond d’un océan terrestre. Il n’était pas toujours facile pour un opérateur d’identifier ce qui apparaissait sur ses vidéoplaques. On y voyait un monde en forme de bol, avec des horizons proches qui s’affaissaient brusquement sur les côtés, et de toutes parts des roches nues irradiant un halo orangé. On aurait cru observer un paysage désertique terrestre à travers le fond d’un épais cendrier ou d’un verre. Faire grimper un énorme robot vers le haut d’un étroit défilé puis sous un surplomb, afin de récolter des échantillons de minerai à quelques mètres d’intervalle, s’avérait une tâche épuisante qui mettait de surcroît le sens de l’orientation à rude épreuve.
C’est pourquoi il serait injuste de mettre en cause la vigilance de l’opérateur qui ne réagit pas immédiatement quand la trompe foreuse de son RMLV Rolls-Royce traversa la paroi rocheuse et pénétra dans une cavité qui n’était pas, contrairement aux apparences, d’origine naturelle. Les formes brusquement illuminées par l’éclat des radiateurs chauffés à blanc étaient si bizarres que l’homme perdit quelques instants avant de prendre les mesures qui s’imposaient… un temps de réaction prolongé par le délai de transmission du signal de contrôle… pour empêcher la destruction des innombrables lignes d’inscriptions gravées dans la roche et des représentations d’êtres décharnés monstrueux qui apparurent soudain sur son écran.
FIN